Madame,
Je vous remercie pour ce deuxième questionnaire d’ATTAC qui me permet, après avoir détaillé mes propositions sur la finance (premier questionnaire ICI), d’aborder les sujets de l’Europe et de la démocratie. Vous savez que ce sont des sujets qui sont au cœur de mon combat politique, de ma vie. C’est pour cela que je me suis rendue récemment en Grèce.
Dans ce pays il y a aujourd’hui un sentiment de désespoir et de révolte profonde. Avec le retour dans les rues des militants d’extrême-droite, les citoyens craignent une dérive autoritaire. Leur situation empire, sans perspectives de sortie. C’est par la solidarité européenne que nous parviendrons à stopper l’hémorragie sociale qui touche la Grèce aujourd’hui, mais se répand déjà au Portugal, en Espagne, en Italie, et peut-être demain en France. C’est par la démocratie que nous parviendrons à cette solidarité et que nous tournerons le dos aux replis nationalistes et aux tentatives récurrentes de désigner des boucs émissaires.
Vous trouverez ci-dessous mes réponses détaillées à vos questions.
Je vous remercie encore pour votre interpellation et vos combats
Avec toute mon amitié
Eva Joly
Soumettre à référendum la ratification du Pacte budgétaire
Je suis profondément opposée à la ratification du Traité sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance dans l’Union économique et monétaire (TSCG), Traité dit Merkozy ou Pacte budgétaire. Mon opposition a été confortée par ma visite en Grèce. Ce que j’ai vu à Athènes doit être vu par tous les dirigeants européens !
Dans notre pays, tous les partis de gauche sont opposés au TSCG. Etant plutôt optimiste de nature, et comptant sur une victoire de la gauche et des écologistes aux élections prochaines, la question pour moi n’est donc pas « faut-il un referendum pour ratifier le TSCG ? » mais plutôt « comment négocier un autre Traité ? ». Ce n’est pas le moment d’anticiper une victoire de la droite ou une trahison de la gauche. Par ailleurs, je crains que de relancer le débat européen sur le modèle de la campagne référendaire de 2005 sur le TCE soit une erreur stratégique, qui risque de renforcer les anti-européens. Cette position est personnelle : elle devra être validée par les instances démocratiques de mon mouvement.
Je milite pour un nouveau traité, qui vise non pas à rassurer les banques et les financiers de la City et des grandes places européennes, mais qui mette au cœur les citoyennes et les citoyens. J’ai baptisé ce traité le « Traité d’Athènes », parce que je pense que tous les dirigeants européens doivent se pencher sérieusement et humainement sur la situation de la Grèce plutôt que de la regarder de loin comme un fardeau. Je lutte contre un devenir grec de l’Europe.
Avec ce traité, nous devons mettre en commun nos dettes au niveau européen pour que le fardeau soit partagé, renégocié et n’écrase aucun pays. Nous devons imposer une législation qui écrase le secret bancaire, aide à lutter contre les paradis fiscaux, mette en œuvre une taxe sur les transactions financières, pour qu’il n’y ait pas d’un côté les victimes, et de l’autre les bénéficiaires de cette crise. Nous devons remplacer le pacte de stabilité qui est devenu un pacte d’austérité, par un pacte de solidarité, un pacte de développement écologique et social qui manque tant à l’Europe. Nous devons lancer un grand plan d’investissement écologique au niveau européen, pour entamer la transition écologique de notre économie et créer de nouveaux emplois. Nous devons réussir un fédéralisme budgétaire, nous devons mettre en place un audit européen des dettes publiques.
Enfin, rétablir la démocratie, c’est d’abord rompre avec la logique intergouvernementale d’Angela Merkel et e Nicoals Sarkozy, qui ont amené l’Europe dans une impasse. Respecter la démocratie, c’est respecter le résultat des urnes et donc renégocier tout de suite le TSCG.
Proposer l’élaboration démocratique d’un nouveau traité européen.
Sur ce sujet, je partage en partie votre analyse et je suis heureuse que vous repreniez une de nos anciennes propositions : la ratification d’un traité institutionnel par des référendums simultanés dans tous les pays de l’Union. EELV est le seul parti politique profondément fédéraliste et le seul parti réellement pan-européen dans le paysage politique français qui pense que l’Europe est le niveau pertinent pour répondre aux crises. Nous avons un rôle et une responsabilité spéciale dans la construction d’un Europe nouvelle, avec nos homologues allemands notamment.
Il faut refonder les institutions européennes sur une base plus démocratique. Le Traité de Lisbonne était censé être une solution palliative face au rejet du TCE. C’était un compromis instable. Nous touchons aujourd’hui aux limites du Traité de Lisbonne. Nous avons toujours essayé de faire vivre au Parlement Européen une Europe capable d’utiliser les avancées institutionnelles du traité de Lisbonne mais qui avait entendu le « Non », et nous avons toujours fait l’effort de préserver la solidarité et l’Europe sociale tout en promouvant les principes de l’écologie politique. Mais la période récente a montré que l’inter-gouvernementalité est la forme institutionnelle dominante. Les réunions du Conseil européen se sont multipliées sans résoudre les crises, et en n’associant que très rarement le parlement européen. Le résultat de tout cela, notamment en France, c’est la croyance que l’Europe est responsable de la dégradation du quotidien, alors que la responsabilité est celle de Nicolas Sarkozy et d’Angela Merkel. Leur politique qui est mise en œuvre depuis 2007 a été largement aidée par la crise : elle a permis une remise en cause sans précédent du modèle social Européen depuis les années 50.
Il nous faudra reconstruire un climat de confiance entre européens et mettre fin a ces défiances entre pays du Nord et du Sud, entre supposées cigales et fourmis, et redonner confiance aux citoyens dans la capacité de l’Europe d’assurer ses promesses fondamentales : la paix, la prospérité et l’égalité.
Ainsi dans mon projet, je défends l’idée que : « La France proposera de lancer un nouveau processus constituant permettant de doter l’Europe d’une Constitution digne de ce nom – c’est à dire d’un texte court et compréhensible par toutes et tous, rappelant les valeurs et les projets qui unissent les Européens, et faisant progresser l’Europe vers le fédéralisme. Ce texte tirera sa légitimité de sa ratification par un référendum européen. »
Instaurer en France un vrai droit au référendum d’initiative citoyenne
Dans mon projet, je vais au delà du référendum d’initiative citoyen. Je revendique la constitution d’un cinquième pouvoir citoyen. Les consommateurs et consommatrices, les salariéEs, les usagerEs doivent être mis en capacité d’interpeller, d’évaluer, de contrôler et de modifier les décisions des acteurs économiques et publics. Nous avons besoin d’une démocratie réelle associant les citoyens et garantissant les contre-pouvoirs. Comme l’énonce l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, les citoyens « ont droit de concourir personnellement » à la formation de la loi.
Je défends une 6e République qui redéfinira les processus décisionnels à tous les échelons dans une logique d’inclusion systématique de la population.
La démocratie directe sera enrichie (en articulant le cas échéant l’initiative référendaire populaire et des procédures de débat public) ; surtout, elle deviendra décisionnelle et pas seulement consultative. 1 % des citoyens pourront réclamer un référendum. Après vérification de la constitutionnalité de la demande (pour veiller au respect des droits humains et environnementaux) et de sa cohérence par rapport aux compétences de l’échelon territorial concerné, s’ouvrira une seconde étape. Au cours de celle-ci, 5 % des citoyens devront se joindre à l’initiative dans un délai de quelques mois. Les assemblées concernées auront alors la possibilité de faire des contre-projets ou de modifier la loi. En l’absence d’un accord avec les organisateurs de l’initiative, dans la troisième étape, cette dernière sera soumise au vote. Pour s’imposer légalement, la proposition devra recueillir en sa faveur une majorité des votants et au moins 25 % des électeurs inscrits, la votation étant ouverte aux résidents étrangers. Parallèlement, sera instauré un droit d’interpellation populaire qui ouvrira la possibilité à une fraction de la population de faire inscrire par pétition une question à l’ordre du jour des assemblées délibératives (du Conseil municipal à l’Assemblée nationale), comme cela existe déjà au niveau de l’Union européenne.
Des outils participatifs et délibératifs (budgets participatifs, jurys citoyens, conférences de consensus) seront largement diffusés. Les actuelles Commissions du débat public seront réformées et transformées en collèges de la participation citoyenne, autorité indépendante. Ils joueront un rôle transversal de garant de la participation du public aux processus décisionnels à toutes les échelles territoriales.
Sur la finance, premier questionnaire ICI.