Discours d’Eva Joly au Conseil fédéral d’EELV
Qu’il est bon de se retrouver après la défaite de Nicolas Sarkozy. Qu’il est bon de se dire que même si la victoire de la gauche et des écologistes a été arrachée de haute lutte, elle est belle comme le jour qui se lève plein de promesses et d’envies. Qu’il est bon de se retrouver parmi les siens. Qu’il est bon de se retrouver à vos côtés pour continuer à mener notre combat pour l’écologie et la justice. Qu’il est bon de retrouver tant de visages amis.
J’espère que c’est réciproque. Et que vous avez quelque plaisir à savoir que notre combat commun se poursuit, se prolonge, se projette dans l’avenir pour secouer un monde politique qui doit plus que jamais répondre à des défis immenses.
Ceux qui pensaient se débarrasser de moi en se disant « la présidentielle est finie, Eva Joly va disparaître » vont être déçus : je suis toujours là, plus que jamais déterminée à me battre pour que les choses changent dans notre pays. Le renoncement ne fait pas partie de mes habitudes.
Le rythme de la vie politique est effréné. À peine achevée la campagne présidentielle, que les élections législatives se profilent déjà. Notre Conseil fédéral est donc l’occasion d’un bilan nécessaire, mais également une étape importante pour la suite des événements. Nous devons discuter ensemble du contexte politique nouveau créé par la victoire de la gauche, et des responsabilités qui sont les nôtres.
Je mentirais si je disais que le score de 2,3 % me comble. Il est bien en-deçà de mes espérances, et des vôtres également. Je prends donc ce matin devant vous toutes mes responsabilités. Ma campagne n’a pas permis de créer un rapport de force électoral favorable à nos idées. Chacun apportera son explication et son analyse de ce scrutin.
Trois choses me semblent devoir retenir notre attention.
Premièrement, la profondeur du rejet du sarkozysme. La brutalité, les excès, l’outrance du président sortant ont polarisé cette élection autour d’une dynamique de vote sanction : la première des priorités était de battre Nicolas Sarkozy. Dès lors, les débats nécessaires sur l’avenir de notre pays n’ont pas vraiment eu lieu. Un an de débat présidentiel permanent n’aura que peu éclairé les Françaises et les Français sur les différentes options possibles pour sortir de la crise. Ce débat empêché, il va bien falloir le tenir. Il ne pourra pas être ajourné plus longtemps. Et nous les écologistes devront y tenir toute notre place.
La deuxième caractéristique de cette élection présidentielle, c’est le niveau de colère du pays. Notre pays est aujourd’hui une cocotte-minute, où les tensions exacerbées par cinq ans de politiques injustes et de discours de division sont à leur comble.
C’est l’une des clés de la faiblesse de notre score : notre démarche politique, basée sur des propositions réalistes et raisonnables, n’est pas apparue comme un levier de protestation assez virulent contre l’ordre social actuel.
Enfin, le troisième point, peut-être le plus important : la France est aujourd’hui un pays sans espoir. On me l’a dit pendant toute la campagne : « vous les écologistes, vous avez raison, mais ce que vous dites, ce n’est pas très gai. Vous annoncez toujours des catastrophes, toujours des sacrifices. » Comment dans ces conditions fédérer les électeurs autour d’un projet d’une vie meilleure ?
Je n’ai pas su résoudre cette équation, sur laquelle tous les écologistes achoppent depuis toujours à l’élection présidentielle. J’assume cet échec.
Je n’ai pourtant ménagé ni mes efforts ni ma peine.
Nous n’avons pas fait de la figuration. Nous nous sommes battus pied à pied dans un contexte hostile.
Qui pourra nous disputer la palme de l’opiniâtreté et du courage ? Qui osera dire que les écologistes n’ont pas tenté d’alerter sur la nécessité de forger un cours nouveau pour nos sociétés ?
Sur la question de l’énergie, nous avons porté des coups terribles au lobby du nucléaire. Celui ci s’est d’ailleurs senti menacé au point de faire pression sur notre partenaire pendant la négociation de notre accord électoral. J’ai dit ce que j’ai pensé de cette méthode odieuse. Fallait-il que je me taise ? J’ai cru que notre indépendance valait mieux que la complaisance, j’ai cru que notre honneur valait mieux que la complicité, j’ai cru que la vérité était plus précieuse que le mensonge, j’ai cru et je crois toujours, qu’on fait de la politique en défendant ses idées devant l’opinion et pas en renonçant à ses convictions dans les antichambres du pouvoir.
Au fond j’ai cru en vous, et en votre capacité de résistance, vous les écologistes qui m’avez accueillie il y a maintenant plusieurs années et m’avez confié la lourde tâche de vous représenter dans l’élection présidentielle. J’ai tenu bon parce qu’en votant pour moi lors de la primaire, vous aviez choisi l’écologie de combat.
Dans cette campagne, j’ai parlé sans calcul, mais pas sans prudence. Jamais je n’ai attaqué l’idée du rassemblement, jamais je n’ai laissé supposer la moindre complaisance vis-à-vis de l’ex-majorité, jamais je n’ai posé un seul acte politique qui encourage autre chose que le changement de majorité politique pour redonner souffle et espérance à notre pays.
Je me suis fait parfois faite piéger sur la forme par des journalistes politiques habitués à la langue de bois de politiques rusés et madrés, et je le regrette.
Mais sur le fond, j’ai fait la campagne de l’écologie politique : une campagne qui ne refuse pas d’expliquer la complexité du monde, une campagne qui ne rechigne pas à dire aux électrices et aux électeurs que notre programme ne se réalisera pas sur un claquement de doigt, une campagne qui cherche à réveiller les consciences plus qu’à endormir les préventions, une campagne qui ne se construit pas sur des effets de mode passagers mais veut lutter durablement contre le réchauffement climatique.
Sur la question du vivre ensemble, j’ai rappelé que l’égalité de toutes et tous devant la loi était essentielle. J’ai combattu les fariboles haineuses sur la supériorité des civilisations, j’ai dénoncé la stigmatisation de l’islam, j’ai affronté Marine Le Pen en dénonçant l’imposture de celle qui se veut la candidate du peuple mais n’est qu’une rentière. A plusieurs occasions j’ai été attaquée sur mon accent, mes origines, ma double culture, ma binationalité. Je n’ai pas cédé, persuadée que la France n’est pas le monopole d’une poignée de nostalgiques de Vichy et de l’Algérie française.
Sur la République exemplaire, j’ai toute la campagne durant, tenté d’expliquer qu’aucun changement ne serait possible sans rétablir la confiance entre les électeurs et les politiques. J’ai essuyé injures et quolibets pour avoir frontalement assumé la réalité du pouvoir sarkozyste et dit tout haut ce que beaucoup n’osaient même pas murmurer. J’ai pris ma part dans la lutte contre l’esprit de clan, contre la privatisation de la République, et si cette page est désormais tournée, c’est certainement un peu grâce aux écologistes qui ont souhaité que ma campagne soit une campagne de liberté et de courage.
Pour autant, je veux rappeler que ma campagne n’a pas été simple. Moi, je crois au collectif, au respect de la parole donnée, à l’amitié dans la vie et à la camaraderie en politique. Je suis par ailleurs très attachée au respect de la liberté d’expression de chacune et de chacun. Mais on ne me fera pas croire, que s’épancher par voie de presse sur la médiocrité supposée de ma campagne était une volonté de contribuer positivement au renforcement de notre score. Certaines semaines, pas un jour ne passait sans apporter sa pelleté de terre sur le tombeau d’une candidature, qui à en croire les commentateurs ne pouvait pas aller à son terme. Il est triste que certains d’entre nous aient choisi d’alimenter ce feuilleton en s’épanchant dans la presse. À certains moments de cette campagne, vu le rythme soutenu des attaques que j’ai du supporter, je vous le dis comme je le pense, ce n’est pas l’écologie qui a disparu des radars : c’est la dignité.
Les critiques portées n’étaient pas toutes sans fondement. Mais aucune d’entre elles n’ont eu d’autre effet que de nous affaiblir. Les Machiavel de bas étage, qui, le plus souvent anonymes, ont attaqué notre campagne ont fait du tort à la cause qu’ils prétendaient défendre.
Nul n’est besoin ici de citer leur nom : ce serait leur faire un bien grand honneur. Mais qu’ils sachent que le temps de la division doit être définitivement forclos. Il vaut mieux désormais bâtir des ponts, que de dresser des murs entre nous. Je ne suis d’aucune côterie, d’aucun clan, d’aucune fraction, d’aucun sous-ensemble de notre famille écologiste. Je vous prie donc de croire que chaque fois que j’agis, je ne suis guidée que par l’idée que je me fais de notre intérêt commun. Nous devons apprendre à mutualiser davantage, à capitaliser sur les savoirs et les acquis des uns et des autres, à additionner nos talents au lieu de multiplier nos frustrations. Dans les semaines et les mois qui viennent, je travaillerai activement à poursuivre l’élargissement de notre famille politique.
Je veux aussi aider à passer le relais à une nouvelle génération militante, celle que j’ai appelé « la génération Duflot » : elle doit éclore dès ces législatives qui permettront de voir rentrer à l’Assemblée nationale des écologistes qui ne sont pas des professionnels de la politique mais des acteurs et des actrices du vrai changement.
Dans cette campagne j’ai perdu quelques illusions et peut-être même quelques amis. Mais j’ai gagné la certitude que je suis bien à ma place dans cette noble assemblée composée de têtes raides dures à convaincre, d’esprits rebelles qui refusent de se soumettre, de lanceurs d’alertes désobéissants, de vigies, d’éveilleurs et d’éveilleuses de conscience qui se préoccupent davantage de l’intérêt général que d’eux-mêmes.
Pour affronter la période qui vient nous aurons besoin d’unité. Unité des écologistes, unité de la gauche et des écologistes, unité des Françaises et des Français. Cette unité, j’y travaille : c’est le sens de ma présence dans les meetings socialistes entre les deux tours, parce que je ne pouvais rester sans rien faire face à la menace de la réélection de Nicolas Sarkozy. Nous devions prendre nos responsabilités. Nous l’avons fait en allant chercher chaque voix et en répétant inlassablement la vérité du sarkozysme.
Le contrat est rempli. La victoire est acquise. Le plus dur commence. Je ne crois pas à l’état de grâce. Dès les premiers jours du quinquennat, les difficultés seront présentes. Alors une question se pose. Si la proposition nous en est faite, devons-nous participer à une coalition gouvernementale ? Ma réponse est claire : oui. Nous devons participer au changement.
Nous devons être prêts à prendre nos responsabilités. Je crois qu’il faut des écologistes au gouvernement pour qu’il y ait de l’écologie dans le changement. Croire qu’en restant sur le quai de la gare nous aurions davantage d’influence est une vue de l’esprit. Sans ministres issus d’EELV au sein du gouvernement, les écologistes aboieront et la caravane du productivisme continuera son chemin comme si de rien n’était.
Nous devons êtres présents au gouvernement, actifs, mobilisés et solidaires.
Quelque soit ma place dans les semaines qui viennent, vous savez que vous pouvez compter sur moi pour ne rien céder.
Mais je voudrais aussi dissiper une illusion sur la participation gouvernementale. Il ne sert à rien de dresser un catalogue de conditions à remplir, alors que nous savons que le programme qui sera appliqué sera celui du candidat socialiste. C’est la logique de la Cinquième République. Cette logique nous la combattons, mais elle s’impose à nous et structure la période qui vient.
C’est pour cette raison que les élections législatives sont essentielles : il faut faire en sorte que le changement soit garanti par la présence de nombreux deputés écologistes à l’Assemblée nationale qui défendront l’esprit et la lettre de l’accord passé entre le PS et EELV.
Nous ne voulons pas de députés godillots, machines à voter sans imagination, tristes pantins de l’ordre ancien. Nous voulons envoyer à l’Assemblée nationale des députés qui auront à cœur de faire que les choses changent vraiment. Les chantiers sont nombreux. Je voudrais pour ma part que la première tâche des nouveaux députés écologistes, soit de réparer la situation aberrante qui fait que des dizaines de procédure pour harcèlement sexuel sont interrompues : il faut d’urgence une loi qui, définissant avec précision le harcèlement sexuel, le combatte avec la plus grande des fermetés. J’ai fait de l’égalité un des piliers de ma campagne, je vous appelle à faire de l’égalité entre les femmes et les hommes une des priorités du nouveau quinquennat.
Je vois maintenant le Front de gauche qui nous a fait la leçon pendant toute la campagne sur le thème « les écolos se sont vendus et ont tout cédé », avant de réclamer un accord électoral avec le Parti socialiste. Je note que cet accord ne serait même pas appuyé sur un volet programmatique. J’en tire, provisoirement au moins, la conclusion que la radicalité des tribuns du peuple n’est pas forcément supérieure à celle des oratrices tranquilles. Le Front de gauche, comme nous, doit désormais s’inscrire dans une stratégie d’alliance pour influencer le cours des choses. La différence, c’est que moi je l’assume plus franchement.
Je ne pratique pas le double discours. Pour moi, la vérité n’a pas de saison : elle s’impose comme condition indépassable de la confiance entre les politiques et les citoyens. Alors je vous le dis comme je le pense : je suis heureuse que l’accord passé entre le Parti socialiste et Europe Écologie Les Verts nous permette d’obtenir une présence parlementaire plus importante.
Cet accord, c’est un correctif à la loi d’airain du scrutin majoritaire qui prive la démocratie d’une représentation plus juste des courants politiques.
François Hollande a dit ne pas se sentir tenu par cet accord, en particulier sur la question du nucléaire. Il est pour le maintien d’une part importante de nucléaire dans la production de notre électricité. Nous sommes pour la sortie du nucléaire. Les choses sont simples : si nous voulons la sortie, il va falloir user de pédagogie, et il va falloir que toutes les associations se mobilisent pour mettre la société en mouvement. Mais c’est le contraire qui aurait été étonnant. Comment voulez-vous que le président élu, sous la Cinquième République si monarchique, se sente engagé par un accord qui concerne les élections législatives ? En outre, le rapport de force ne joue pas en notre faveur.
Mais je sais que le nouveau président n’ignore pas que la politique n’est pas qu’une affaire d’arithmétique électorale. Elle a aussi à voir avec l’histoire. François Hollande peut rentrer dans l’histoire comme celui qui aura su faire prendre à la France le train de la transition écologique. C’est essentiel. Il ne pourra pas le faire sans nous. Il ne pourra pas le faire en restant prisonnier des vielles lunes productivistes qui misent tout sur la croissance et rien sur l’écologie.
On dit de François Hollande que c’est un homme de synthèse. Et bien je l’appelle à faire une synthèse politique nouvelle entre le meilleur de la tradition socialiste et le meilleur de l’innovation écologiste. C’est la seule manière de répondre aux enjeux de la période.
J’ai parlé de la gauche folle et de la gauche molle : ce sont les deux revers d’une même médaille, celle du renoncement, les deux maladies mortelles de la gauche, celles qui ont conduit dans le passé à l’échec, à la déception, à la crise de confiance et au final à la rupture entre le peuple de gauche et ses représentants. François Hollande aura désormais pour mission de se prémunir avec la plus grande des énergies de ces deux maladies. Je l’en crois capable, je l’en sais capable. Qu’il sache qu’il aura tout mon soutien dans la période qui s’ouvre. Parce que les Français ne veulent pas seulement qu’un pouvoir succède à un autre, ils désirent profondément que le gouvernement améliore leur sort, leur condition, leur vie quotidienne et leur avenir. Ce travail ne se fera pas en un jour, ni même en cent. Mais pour que les petits ruisseaux des avancées concrètes convergent enfin pour alimenter le fleuve du vrai changement, il faut une volonté politique ; pour que la défaite de Nicolas Sarkozy n’ait pas été qu’un soulagement, un simple répit pour un pays usé, mais bien l’An Un de la reconquête démocratique pour permettre l’invention d’un nouveau modèle de société à laquelle des millions de femmes et d’hommes dans notre pays aspirent. Que les Français et les écologistes sachent que ce sera la priorité des écologistes que de s’assurer que cette volonté soit permanente. Nous voulons que la gauche et les écologistes réussissent. Cette victoire ne doit pas être une parenthèse, mais bien constituer le point de départ d’un nouveau cycle politique et démocratique pour notre nation.
Pour que nous réussissions, je veux dire enfin que nous avons besoin de toute la société. La société civile, les associations, les syndicats doivent aussi à leur manière contribuer au changement : nous n’attendons pas de ces organisations qu’elles soient le relais d’une quelconque parole gouvernementale. Nous avons besoin au contraire qu’elles soient conquérantes, indépendantes, exigeantes, et que leur agenda ne soit pas aligné sur celui d’un pouvoir qui hérite d’une situation extrêmement dégradée sur le plan intérieur comme sur le plan international. Nous devons affronter la crise et réussir à rassembler l’ensemble des Français dans un nouveau projet national débarrassé du spectre de la haine de l’autre, qui n’est qu’une forme hypertrophiée de la haine de soi.
Je veux que la France retrouve la France, que le courage succède à l’esprit de soumission, que l’intérêt général inspire la nouvelle majorité et que les écologistes prennent toute leur part dans cette tâche immense qui nous attend.
Au gouvernement, solidaires et courageux, à l’Assemblée pertinents et impertinents, sur le terrain mobilisés et volontaires, voilà la feuille de route de l’écologie politique pour les semaines à venir et les mois à venir.
Alors ne lâchez rien, ne cédez rien. Battons nous pour donner de la force au changement en faisant de l’écologie une énergie nouvelle pour la France.
La France a besoin de l’écologie et l’écologie a besoin des écologistes. Alors je vous appelle à tout faire pour que nous montrions dignes de la mission historique qui est la nôtre.